Saturday, January 9, 2010

xeerka ciisaha

Le xeer Issa



Chacun a le droit de connaître les règles conçues par ses ancêtres et les transmettre ensuite.




Cartographie et démographie Issa


Les Issas sont un peuple conscient deson existence en tant que nation. Le contrat qui les rassemble, le Xeern’est pas un lien de sang mais un contrat juridique qui définit lesrôles des institutions (Ugaas, Gande et Guddi). Le Xeer définit aussicomme nous l’avons vu ce que partagent les personnes auxquelles le Xeers’applique: la même histoire (passé commun), le même territoire et lemême projet.



Cartographie

Ainsi, le territoire Issa est-ilorganisé de sorte qu’il se divise en deux grandes régions (degmos), ledadar (le littoral Est) et le Galbeed: ces deux régions se subdivisenten 12 départements (gallin) qui sont:
1. qorax-joog
2. biniin-joog
3. jidi galee
4. casa-joog
5. jaah-ma-garato
6. garas-joog
7. biyiic-joog
8. ilka case
9. dayn
10. galool-joog
11. dhuun yar
12. cadaad-joog
Cette organisation de l’espacepermet aux Issas de se situer. Les nomades ne parcourent l’espace sanssavoir ou ils se situent. Et d’ailleurs, la diversité au niveau de laproduction culturelle et du mode de vie du peuple Issa est due à cetteétendue territoriale. Les habitants de chacun de ces départementspossèdent des particularismes qui font rire et étonnent les autres.
Démographie
Quel est le nombre exact de lapopulation Issa? Cette question peut paraître absurde pour ceux qui ontdes préjuges à l’égard des nomades. En effet, comment pourrait-onrecenser des personnes en perpétuel déplacement, à la recherche de lapluie? C’est sans compter sur l’ingéniosité des nomades qui, nonseulement organisé l’espace, mais qui réussissent aussi à faire unrecensement fiable de leur population.
Ce recensement se fait d’abordlors de circonstance exceptionnelle, comme le paiement prix du sang(boqol). Ce prix est payé par l’ensemble du clan ou sous clan dont unmembre a commis un meurtre.
Voici comment la procédure du recensement s’effectue:

-on remonte les branches de l’arbre généalogique
-on identifie les reer et les jilibs qui correspondent à des subdivisions de l’arbre généalogiques;
-on recense donc combien defamilles compte tels jilibs, puis tels reer, et à l’intérieur desfamilles on comptabilise les individus.

Ce fichier n’oublie personnemême si un individu émigre au fin fond du monde, lui et sa descendancesont enregistrés sur le registre de recensement.
Ainsi pour connaitre le nombred’issas vivant dans les différents territoires, il existe cette méthodeadaptée au contexte nomade.

La Philosophie du Xeer

Le droit est un ensemble derègles que les sociétés ont établi pour normaliser les relations entreindividus, entre nations et pour prévenir et régler les conflits. LeXeer Issa est né lui aussi au XVIè siècle de ce besoin. Nous allonsétudier la philosophie du Xeer.
Les Issas, pour traduirel’importance du droit dans une société humaine, ont produit cettemaxime «meel aan xeer lahayn waa lagu xooloobaa», c’est-à-dire sans ledroit l’homme n’est qu’un animal. Autrement dit, l’homme conquiert sonhumanité et se différencie des animaux face aux lois qu’il établit etqu’il respecte.

Le droit est pour les hommesl’équivalent de la force comme les bêtes (la loi de la jungle). Pourles Issas, IL existe deux sortes de Lois:
1. «Xeer ilaah» ou la loi deDieu. Il s’agit de l’ensemble des naturelles qui régissent l’univers(le jour et la nuit, les saisons, la naissance et la mort,…;). Mais leXeer Ilaah c’est également la révélation que Dieu fait aux hommes àtravers ses prophètes et ses messagers. Ainsi Dieu proclame le permis(xalaal) et l’interdit (xaraam) et bien d’autres règles.

2. «Xeer oday» ou le droitétablie par les hommes. C’est l’ensemble des règles que les hommes ontcrée pour prévenir et résoudre les problèmes qui peuvent venir dans unecommunauté donnée. C’est donc un droit opté aux besoins et aux modesspécifiques de la société à laquelle il est établit. Seul lesconnaisseurs de cette nation ont pu promulguer, à l’intention de lacommunauté des lois claires et conformes aux voeux voulus.

Rappelant que le Xeer Issa a étéétablit dans la localité de Sitti situé entre Aicha’a et Hadha-gaala enEthiopie vers la fin du XVI ème siècle. Ainsi pendant 12 mois, 44 sagesont débattu sous la direction d’un certain Hassan Gadiidshe sur toutesles questions relatives aux peines, aux articles et chapitres des lois,aux juridictions et leurs attributions, aux domaines desquelles il fautlégiférer…
Ils ont élus le 1er Ugaas en lapersonne de Ugaadh makaahil. Durant ces 12 mois d’assises les sages sesont posés des questions fondamentales:


1. Qu’est ce que le xeer?
2. A quelle communauté va t-il s’appliquer?
3. Quels sont les objectifs du xeer?

Ils ont répondu a chacune de façon détaillée.
Qu’est ce que le xeer?

Les fondateurs du Xeer ont uneréponse à cette question à travers une multitude de maximesproverbiales qui sont autant des articles des lois.
Le Xeer est d’abord ce quidifférencie l’homme des animaux: «meel aan xeer lahay waa laguxoloobaa» ou encore «dad aan xeer lahay waa xoolo». Une fois l’humanitéfondée par l’invention du Xeer, il faut ensuite établir les loisclaires qui régissent la communauté. Et que chaque individu soitconvaincu de son utilité. Les sages ont dès le départ quelquesprincipes:«xeer ninkii dhigay waa u darajo», le Xeer est une prestationde prestige pour les fondateurs, «ninka ku dhaqmana wa u dayr», il estun rempart pour celui qui le respecte et l’applique, «ninka kadanaystana waa ku danbi» et celui qui le transgresse commet un péché.Dans le même registre ils ont affirmé «Xeer diid waa Allah diid», celuiqui refuse d’obéir aux lois est un mécréant.
Les sages fondateurs ont eu lesouci pédagogique d’expliquer et de montrer à chaque membre de leurcommunauté que le Xeer est un outil, un moyen indispensable à lapréservation de sa personne et de ses biens (matériels et moraux).Ainsi, par la métaphore de la chaussure, ils ont voulu sensibiliserceux qui connaissent le rôle protecteur de celle-ci: «Xeer waa kab lagusocdo», le Xeer c’est comme une chaussure qui vous va bien et qui vousprotège. Il faut rappeler que la chaussure contrairement à la sociétémoderne qu’importe tout, était fabriquée sur mesure et en fonction dela nature du sol sur lequel on vivait. Par extension, donc cette maximesignifie que la loi est faite sur mesure et pour une société donnée.
Le Xeer a également un aspectégalitaire selon ce proverbe «Xeer looma xoola yara», la loi ne se basepas sur la fortune. En effet, le Xeer s’applique avec la même rigueur àtous quelque soit la naissance, la richesse et le statut social souscela il perdrait sa valeur. Le Xeer et l’injustice sont tellementantinomiques que l’un ennuie l’autre. Cette notion d’égalité devant leXeer est renforcée par cette autre maxime qui affirme «Xeer waa gedjeerin ah», le Xeer est comme l’arbre Jeerin. Cet arbre se caractérisepar sa courte taille et sa largeur qui le rend infranchissable.Métaphoriquement donc cela démontre que la loi est inviolable. Ceux quil’ont promulgué n’ont ni plus de droit, ni plus de privilèges parrapport aux autres. Le Xeer refuse le favoritisme «xeer waa xeer», laloi c’est la loi mais n’interdit pas l’entraide «xaagaanna lagamatago», mais on n’oublie pas la compassion. On distingue ainsi ce quiest légal, commun a tous les citoyens, et ce qui ressort del’initiative des individus. On ne peut en aucun cas utiliser, parexemple, les biens de la communauté à des fins personnels, comme larigueur du droit ne doit pas nous priver, individuellement, d’êtregénéreux même avec ceux qui sont en litige avec nous. Mais avec le xeerlui-même prescrit le social en ces termes:«dad xeer lihi caydh ma le’»,là ou existe la loi, il n’y a point de pauvres. Ceci témoigne du soucides fondateurs de permettre à chaque membre de leur communauté de vivredignement et indépendemment au niveau économique. Un droit à visagehumain, dira-t-on.
Cette générosité est un rempartcontre les tentations de ceux qui n’ont rien. En effet le Xeer protègela vie et les biens économiques. Sans loi il ne peut y avoir laprospérité. Ainsi la maxime suivante «Xeer la’aani wa xugun iyo xoolola’aan», sans loi il n’y a ni descendance ni richesse. Dans un monde ourègne la loi de la jungle, l’humanité risque de s’éteindre et aucundéveloppement économique durable ne peut être envisagé.
Entamons maintenant la seconde question fondamentale posée par les sages fondateurs.

Quelle communauté le Xeer va-t-il être appliqué?

Le Xeer est établi pour une communauté dont les membres partagent trois choses:

1. wada deg
2. wada ded
3. wada duulan

Chacune de ces notions à un double sens que voici

1. wada deg:
-les gens qui partagent le mêmeterritoire «degmo» et vivent à l’intérieur des mêmes frontières(l’équivalent de l’état, nation)
-un groupe qui a une mêmeascendance et qui a un ancêtre commun (idée de daadeg, descendre de…;)ce qui correspond au clan, comme celui des Issas, par exemple

2. wada ded:
-c’est une communauté qui est solidaire pour affronter tous les problèmes et les résoudre (effacer, cacher, faire disparaître)
-le second sens à uneconnotation religieuse (enterrer les morts). C’est donc une communautéqui partage la même religion et les mêmes valeurs morales.

3. wada duulan
-une société qui organise sa défense commune (le destin individuel et collectif)
-une communauté qui partage lemême projet de société (une mise en commun des compétences et desmoyens pour satisfaire de tous).

Les sages fondateurs ont doncbasé l’efficacité du Xeer sur l’unité et l’homogénéité du groupe auquelil s’applique. Autrement dit les membres de cette communauté ont lamême histoire, le même territoire (g) et les mêmes valeurs (duulan). Cesont là les bases qui fondent les nations modernes, dont la républiquede Djibouti.


Quels sont les maux contre lequel le Xeer doit nous protéger?


Sachant que les délits de toute sortesont commis par les hommes et qu’il serait illusoire d’espérerl’éradication de ces maux, ils ont répondu que le Xeer est un rempartcontre délits:
· damac
· duul
· dil
· dhac
Tout commence par le damac (laconvoitise) des biens d’autrui. Ensuite vient le duul (l’attaque) pours’emparer injustement et par la force des biens des autres. La violencede l’attaque et de la résistance a pour conséquence le dil (meurtre) etle dhac (la prise du butin). Et ainsi l’engrenage du cycle de lavengeance est enclenché. C’est pourquoi les peines encourues par lescoupables sont sévères afin de dissuader toutes les actions quitroubleraient la quiétude de la communauté.

Un droit moderne

En fin de compte ce Xeer a étéfondé par des hommes et pour des hommes. Il possède toutes lescaractéristiques du droit moderne. Il est témoin d’une civilisationantérieure, à celle de l’occident. A quelle époque, ou ce Xeer a étéfondé, la notion de droit n’existait pas l’Europe féodale à monarchieabsolue.
Le Xeer, tel qu’il n’apparaîtdans sa philosophie n’est pas tribal. Au contraire il s’applique àtoute une communauté du destin quelque soit sa forme et sa composition.C’est un contrat qui rassemble tous ceux qui l’on accepté.





Le chiffre 12 chez les issas

Le chiffre 12 est, chez lesIssas un chiffre fétiche. En effet, très souvent on les retrouve dansplusieurs domaines. Dès le départ, la communauté Issa se compose de 12aqal (12 familles) issue de 12 membres fondateurs. Chacun de ce derniera eu deux enfants: les aqal (maison) qui est donc la demeure des Issascomporte lui-même 12 éléments: 2 kabdo, 6 habar (pailles tressées) et 4alool (sorte de nattes en bois). Le chiffre 12 se retrouve dans le Xeer.
Ce dernier a été établi par dessages qui ont siégés pendant 12 mois. Il comporte 12 kaboodc’est-à-dire 12 livres (codes) dont chacune est consacrée à un domainedu droit. Les affaires en litige peuvent également être porté devant 12geed (arbres) ou dix (oued) c’est-à-dire qu’autant d’appel et derecours sont possibles jusqu’à la satisfaction du plaignant et larésolution du conflit.
Dans leur cartographie les issasse répartissent en 12 degmos (région) cela leur permet se connaitreleur territoire et de pouvoir se situer les uns par rapport aux autres.
Le chiffre 12 se retrouve encoredans l’évaluation des valeurs des animaux. Par exemple le cheval vaut12 chamelles et une chamelle elle-même équivaut à 12 brebis. Enfin leslettres qui composent le titre de l’Ugaas en arabe font un total de 12,selon les spécialistes (le alif:1, le «jiin»=3, et le «za»=7 d’ou untotal de 12). Ce chiffre doit avoir une signification dont il faudrapercer le secret par une recherche approfondie.








Les Procedures du Xeer

Le Xeer, nous l’avons vu, estinstitut pour régler les affaires litigieuses et convaincre chacun desmembres de la communauté de l’intérêt de le sauvegarder.

La constitution du Guddi

Les affaires que le Guddi (tribunal) traite trois sortes, en général:
· Dhiig (meurtre, assassinat) qui se répare par le prix du sang (boqol),
· Dhaqaaqal (concernant les biens) et qui se règle par la compensation (mag)
· Dheer (affaires matrimoniales) qui se clôt par une réparation (maydh)

Les jurés qui composent le Guddisont au minimum 6 et leur membre peut aller de 12 et à plus de 20. Lechiffre 101 est atteint, lors d’un procès exceptionnel, qui a dépasséle 12è appel. Alors le Guddi se compose de 1000 jurés et du Ugaas(boqolka iyo boqorka)
Nous avons vu, dans un précédentarticle les catégories d’hommes qui sont admis au Guddi (habardoobireed) et ceux qui sont exclus d’office (habar masiibeed)
Avant de commencer le procès, onéloigne de l’arbre les habar masiibeed et les Maaheys (les personnesconsidérées comme mineurs), c’est-à-dire les femmes, les enfants,l’handicapé mental).
Ces personnes sont exclus afind’éviter de laisser des ressentiments dans leur coeur non guéri auxaffaires qui sont parfois dures. Il faut être immunisé comme ceshabitués de «geed».
Un tribunal (Guddi), se tient en présence du plaignant, le Mudici et de l’accusé le Mudacaali.


Le déroulement du procès


A l’ouverture du procès on prononce ces paroles:

Nin uu faraa
Ninna uu fasaxaa
Nin uu furaa
Ninna uu falanqeeya
Nin uu gooyaa
Ninna uu gudoomiyaa
Nin way u go’daa
Ninna way ku go’daa

Que l’on traduit:

L’un convoque
L’autre présente l’affaire
L’un ouvre la séance
L’autre expose les faits
L’un préside
L’autre tranche
L’un perd
L’autre gagne

Les 6 personnes sont les jurés qui mènent les procès alors que les deux derniers sont le plaignant et l’accusé.
Le procès a donc commencé. Lesdeux hommes dont on traite l’affaire sont déchaussés. Les deux hommesont le droit de prendre la parole, chacun deux fois, pour exposer lesfaits et convaincre le Guddi. Avant de commencer on se met d’accord surles règles du jeu pour éviter et prévenir les contestations stériles.
Le plaignant comme l’accusé sechoisissent et nomment leur père (aabo), non pas le géniteur mais leurtuteur, porte-parole ou avocat auquel ils font confiance. Et ce dernierdoit clairement donner son accord pour jouer ce rôle. Il fera accepterle verdict à son protégé, après l’avoir défendu.
On demande à un scripte d’écriretout ce qui sera dit. Le mudici (le plaignant) expose les faits et faitsa déposition. Puis le mudacaali (l’accusé;) enchaîne.
A son tour le scripte estsollicité pour vérifier, en présence des deux parties si chacunereconnaît ce qu’elle a dit, si elle veut rectifier, confirmer oucompléter.
Après cela, on demande aux deux hommes de s’éloigner et de se préparer à présenter leur témoin ou à jurer, à défaut de témoin.
Il faut rappeler que jurer(dhaar) n’est pas un acte banal. Dans une cérémonie symboliquel’individu est soumis à une pression psychologique: on l’introduit dansun trou (une tombe) et l’habille dans un linceul (kafan) et il jure lavérité. Jurer un mensonge est une malédiction. C’est pourquoi ondit:«dhagar soo hooyo, dhaar ha soo hoyn» ce qui veut dire «il estpréférable de commettre un meurtre plutôt de jurer faux». En effetcombien de familles et des clans ont disparu à cause de ce fauxserment. Et une fois que l’affaire est close il ne peut rester nirancune ni sentiment de vengeance (biili). C’est pourquoi on inculquece principe, à tous les membres de la communauté:«Ciise buulo, baaneiyo boqol maahe biili ma leh» ce qui signifie que les Issas connaît lesprocès, paie les compensations et les prix du sang mais ne connaît pasla vengeance.
Ainsi le procès se termine parla réconciliation et l’entente cordiale. La magie du verbe a réussi àcalmer les esprits, à abaisser les coeurs et à éviter l’engrenage. C’stplusieurs siècles plus tard que l’Europe découvre les vertus de cettejustice humaine. Les commissions de médiation et de réconciliation jouece rôle, auprès des tribunaux.





La pédagogie et la morale du Xeer

Créer est une chose, transmettreen est une autre. Les fondateurs du Xeer n’ont pas négligé cet aspect.D’une part l’ensemble des individus de la communauté doivent connaîtreles règles du Xeer mais en plus doivent l’appliquer à la lettre. Alorscomment réussir ces deux missions dans une société nomade ou peud’institutions permanentes existent (à part celle de l’Ugaas, lesautres sont mobiles dans le temps et dans l’espace)?

La pédagogie du Xeer

Toute pédagogie a pour objectifd’enseigner aux membres d’une communauté un ensemble de valeursintégratives pour assurer la cohésion du groupe.
Les Issas ont donc instauré uncertain nombre d’occasions ou les jeunes, de l’enfance à l’adolescenceet à l’âge adulte, se familiariser avec le Xeer.



L’école du Gande

Nous avions vu, quel’institution du gande était une école de formation pour des jeunes enfin d’adolescence. Ces adolescents ont là une excellente occasiond’autant plus que le Gande est sédentaire et qu’on se donne le temps deconnaître (c’est la seule activité autorisé;) les rouages du Xeer.
Le père, un maître

Mais le jeune apprend,également, de son père pendant les veillées nocturnes, autour du feu.La société orale est une société ou la parole est l’outil detransmission. Le chef de famille raconte ainsi à ses fils des affairesqui ont eu lieu: l’origine de l’affaire, les débats durant le Guddi, laconclusion du procès. En écoutant les détails de ces affaires, le jeuneaccumule un ensemble de connaissances, qui lui permettront, à son tour,de faire partie du guddi. Cependant lorsqu’une affaire inédite arriveil devra donner une réponse aussi inédite.





Exercice d’intelligence

Quant aux enfants, dès le jeuneâge les devinettes (hal xidhaale) leur permettent de tester leurintelligence. Voici deux devinettes bien connues:

1. quels sont les trois mâlesqui ont plus de valeurs que leur mère et les trois mâles qui ont moinsque leur mère? respectivement, les trois premiers sont l’homme (ninka),le dromadaire (awrka) et le mouton non castré (wanka sumalka) et lestrois autres sont le veau (dibiga), l’âne (dameerka) et le Capri(orgiga). Cette réponse reflète le système de classification desnomades dont la richesse principale est le troupeau et il faut bienconnaître la valeur des espèces pour bien régler les litiges.

2. un homme, après avoir mâchéla sève (maydhax) de l’écorce d’un arbre, l’a abandonnée sur place. Undeuxième individu est passé par là et s’est contenté de tisser unecorde (xarig soohay) avant de la jeter. Puis un troisième, à son touren fit un noeud (surgin) et suivit son chemin. Le quatrième passantprit le noeud et l’attache au sexe (halbowlaha) d’un dormeur. Uncinquième passant attache l’autre bout à la patte d’un boeuf assisauprès du dormeur. Enfin le propriétaire du boeuf sans rien remarquerordonna à ce dernier de se lever en tirant sur la corde, il arracha lesexe du dormeur qui mourut aussitôt. Alors lequel de ces 6 hommes devrapayer le prix du sang (boqol)? en suivant la maxime suivante «shantaadafarood waxaad ku geysatoo shan fiqina kaama saaran», c’est-à-dire qu’onest responsable de ce qu’on fait de ses mains, c’est le quatrième hommequi paiera le prix du sang. Ces devinettes, tout en amusant lesenfants, les instruisent et les préparent à leur rôle d’adulte.

Sagesses proverbiales

D’autre part un certain nombrede proverbes consolident l’éducation des enfants afin que la rechercheen toutes circonstances soit permanente. Voici les exemples de maximescontre le mensonge:

-«Beenaale markhaati ma galo» le témoignage du menteur ne vaut rien. C’est donc un sous-homme
-«beenaale sahan looma diro» on n’envoie pas un menteur, en prospection d’un meilleur lieu de pâturage.

En effet, c’est là un rôleessentiel et on besoin d’information fiable. Il s’agissait également deprémunir les hommes contre le favoritisme et leur inculquerl’impartialité. Ainsi on prie Dieu de nous éviter «gar eexo»,c’est-à-dire que l’on se trompe et rende un jugement tendancieux.
Dans la même vaine, on affirme«gari Allay taqaane nin ma taqaan» pour montrer aux contestataires quela justice est une exigence divine qui ne peut pas contenter ceux quiveulent la détourner à leur profit.

La morale du Xeer

Le Xeer issa comme chez lesautres clans somalis, ne possède pas de police chargée de veiller à sonexécution (rechercher et capturer des coupables, application despeines…;). Aucune force de ce genre n’existe.
Alors comment le Xeerarrive-t-il à fonctionner efficacement jusqu’à aujourd’hui, même enville? Pour réussir à créer une société en paix et vivant en harmonieles fondateurs et les continuateurs, ont, dès le départ et ensuite avecl’expérience, misé sur la psychologie des membres. Ils ont réussi àmoraliser les comportements des individus afin que chacun soit maîtrede lui-même. Un certain nombre de maxime proverbiale avaient pourfonction de favoriser chez l’individu l’adhésion au Xeer même lorsquecela lui était défavorable.

La foi

Tout d’abord, les sages ont misésur la foi. Les Issas, musulmans à cent pour cent, ne pouvaienthypothéquer la vie de l’au-delà pour quelques plaisirs sur terre. Ainsicette maxime: «xeer did waa Alla diid» celui qui n’obéit pas à la loiest un mécréant. Et quel est l’individu qui va s’exclure de lacommunauté?

La réputation

On s’appuie ensuite sur laréputation. C’est pourquoi on affirme:«Geed nin baa ku dhasha ninna waaku dhinta», c’est-à-dire qu’un homme naît lors d’un procès alors qu’unautre y trouve la mort. Cette naissance et cette mort symbolisent labonne et la mauvaise réputation qui risque désormais de coller àl’individu et favoriser ou défavoriser son rôle dans la société.
Au-delà de la réputation del’individu, la responsabilité du groupe est engagée lorsqu’une personnecommet un acte répréhensible. C’est pourquoi la communauté demande àchacun de ses membres de préserver l’image du clan, ce qui représenteun capital inestimable.
En témoigne la maximesuivante:«tol wanaagbuu ku tarmaa xumaanse wuu ku tirma» qui se traduitainsi la communauté prospère et croît dans le bien mais régresse etdéchoît dans le mal. C’est presque un effet biologique (disparition del’espèce) que le mal exerce sur le groupe.

La dissuasion

Enfin un autre moyen utilisépour sauvegarder le Xeer et son efficacité est la dissuasion. D’unepart dissuader l’individu d’agir contre son intérêt et d’autre part ledissuader de faire du tort à la communauté entière. En voici quelquesmaximes: «xeer la’aani wa xugun la’aan».C’est-à-dire sans loi, il n’y ani descendance, ni prospérité. En effet, l’anarchie empêcherait toutevie stable. «Xeer waxaan ahayn oodhani uu xumaada», tout ce qui n’a pasde base légale, n’aboutit à rien de bon. Il s’agit donc d’éviter detricher et de mentir car tôt ou tard cela causera du mal à son auteurou à sa descendance.
Pour terminer, la dernièresagesse «ninkii waalan tolkii ayaa u fayow», en d’autres thermes legroupe prend la responsabilité du fou.


Ceci traduit, la conceptionselon laquelle l’individu fait partie d’un groupe (famille, clan,nation, …;) qui doit veiller à ce qu’il ne transgresse pas les lois,sinon la responsabilité sera partagée et le prix du sang sera payé parl’ensemble du clan. Il faut donc prévenir les actes des membresturbulents.

C’est de cette façon que la société transmet les valeurs et les préserve pour assurer sa pérennité.










Les institutions du Xeer

Nous continuons notre série surle Xeer. Précisons tout de suite que cette étude sur le Xeer n’ad’autre fin que de nous familiariser avec notre héritage culturel etsurtout d’en tirer la sève, qui peut nous servir encore aujourd’hui.Notre culture n’est pas morte contrairement à ce que certains pensent.Si les conditions de vie ont changé, les hommes sont toujours les mêmesavec les mêmes qualités et les mêmes défauts. Et le savoir que nosgrands-parents ont accumulé est si riche qu’il faudra beaucoup de tempset d’énergie pour le sortir de l’oubli et en tirer profit.
Et lorsqu’on parle de culturedjiboutienne, il faut avoir à l’esprit toute sa diversité. C’est ainsique nous reproduisons cette semaine un article de notre confrère AramisH. Soule sur la «qalla», paru dans ces colonnes le 20 février 1986.Ceux qui étaient trop jeune à l’époque le liront avec plaisir, alorsque d’autres se rafraîchiront la mémoire.

Le Xeer se compose de 12 kabood.Six ont été enterrés (waa la aasay), selon l’expression consacrée etsix sont utilisées. Les six kab qui fonctionnent sont:

1. kabta dhiiga: ça concerne lesmeurtres et les blessures physiques et se subdivise en boqol ou mag, eten mawloxo ou buulo. Les détails des compensations peuvent êtreconsultés dans le verdict de l’arbre d’Ali Moussa Iyeh
2. kabta dhaqaaqasha: elle porte sur les litiges concernant les bêtes du troupeau et les réparations afférentes.
3. kabta dheerta: c’est le Xeer qui règle les affaires matrimoniales (xigsiin, dumaal…;) et des préjudices d’ordre moraux.
4. kab dhaqan: il s’agit desprocédures concernat la nomination, la destination et les attributionsde l’Ugaas et celles relatives au Gande et au Guddi.
5. kabta dhulka: il réglemente tout ce qui porte sur la terre que tous les issas ont en partage, dans une sorte de communisme.
6. kabta dhiblaha: c’estl’ensemble des traités passés avec d’autres peuples comme les afars,les oromos…etc. et les clans somalis pour résoudre les conflits et leslitiges qui peuvent ressurgir.




Les institutions du xeer

Le kab dhaqan est l’ensemble derègle qui définissent le Xeer duud (ossature, colonne vertébrale)autrement dit les institutions du Xeer.
Une fois les articles des loisétablies, les fondateurs se sont demandées: qui sera le garant du Xeer,afin d’éviter sa disparition, sa falsification ou d’éventuels blocages?

Ils ont établi 3 institutions chacune indépendante des autres avec des attributions propres. IL s’agit:

1. l’Ugaas
2. le Gande
3. le Guddi

Voila les details

1. l’Ugaas

Nous n’entrerons pas ici dans laprocédure de désignation qui sera l’objet d’un article. L’Ugaas est lepilier du Xeer et le symbole de l’unité de la communauté. Il estimpartial et n’appartient plus à un clan.
L’Ugaas remplit trois fonctions:politique, spirituelle et judiciaire. Politique parce qu’il symbolisel’unité et fédère les différents clans. En plus son autorité,symbolique, est respectée par tous. Spirituelle dans le sens où saprière est exausée. En effet, l’Ugaas est d’une haute intégrité moraleafin que Dieu agrée ses demandes. Il provoque la prospérité pour sacommunauté.
Enfin la fonction judiciaireintervient lorsque le roi est amenée à trancher une affaire qui auraitdépassé le 12è appel ou lors d’une assemblée extraordinaire dite duboqolka iyo boqorka (les cent et le roi) ou une affaire d’importanceest soumise aux hommes.

2. le Gande

C’est une assemblée de 44membres. Au départ le Gande était fixé et les membres siégeaient enpermanence. Par la suite le Gande est devenu occasionnel. Il estconstitue, par cooptation de nouveaux membres, jusqu’à compléter lechiffre 44 et ainsi, une grande cérémonie de sacrifice et de prière,les hommes se dispersaient.
Le Gande a deux fonctions essentielles: spirituelle et pédagogique.
Les membres du Gande doiventd’abord jouir d’une intégrité morale sans faille. La procédure dedésignation des membres montre les exigences qui sont a la base duchoix qui se porte sur l’intègre au gande.
En second lieu le membre duGande apprend à connaître le Xeer en profondeur. C’est une véritableécole, qui forme les membres des différents clans afin que lorsquechacun retournera chez lui il puisse participer aux différents Guddidans lesquels les affaires litigieuses sont tranchées.

3. le Guddi

Le Guddi est formé d’un ensembled’hommes de bonne volonté, connaisseurs du Xeer et au service de leurcommunauté afin de régler les conflits et préserver la paix sociale etd’assurer la prospérité. C’est l’instance la plus active du Xeer , ellele met en pratique et selon les besoins.
Le Guddi remplit, lui aussi 2 fonctions essentielles: judiciaire, politique.
La fonction judiciaire consisteà tenir des tribunaux en fonction des plaintes et des conflits quisurgissent entre les membres de la communauté.
Quant à la fonction politique,elle est très vaste parce que le Guddi est un véritable gouvernementqui s’occupe de tous les domaines de la vie. La société Issa est trèshiérarchisé, sous l’autorité du père (du sous clan, de clan et del’ugaas) est respectée dans le sens de l’intérêt général.
Les membres du Guddi sont leshommes, les plus intègres, les plus disponibles et les plus compétents,comme les montrent les critères qui permettent de les sélectionner.





Qui peut entrer dans ces institutions?

Les critères de sélection pourêtre admis dans une de ces institutions sont sévères mais nécessairepour la pérennité et la prospérité de la communauté.

En général les hommes se divisent en deux catégories:
1.-les ina habar doobireed et
2.-les ina habar masiibeed.

La première catégorie répond aux critères d’admission alors que la deuxième ne peut faire partie de ces instances.

*1_Les habar doobireed

Ils sont au nombre de 11, les voici avec chacun la citation qui les caractérise:

· Yeedhe:«Alla aamin ma iisho»«QUI CROIT EN Dieu ne regrette rien».
· Xeeriye:«Beeni xeeriye eeday»«Le mensonge craint xeeriye»
· Maleeye:«Maleeye taliyaaba waa la yeeli»«Tout ce que dit Maleeye sera exécuté».
· Dhego-badane:«Warbaa u gaaja kulul»«Le besoin en information est les plus pressant».
· Xiddigiye:«Talo walba milay iyo meel bay leedahay»«Chaque chose à son temps et à sa place».
· Faaliye:«Faal Alla maaha doqonse ka male roon»«La géomantique (faal) n’est pas Dieu mais donne conseils».
· Farreye:«Farreye wax ka dhaafo»«Farreye ne néglige absolument rien».
· Farsame:«Farsame ragba ka dhaqaaq»«Le technicien est le mailleur de tous»
· Daweeye:«Cudur walba dawuu leeyahay»«Pour toute maladie, existe un médicament».
· Quraan-ruug:«Cilmi baro dadkana bar»«Apprend et éduque les autres».
· Uuur-ku-baale:«Uur ku baale awgii ma daarin»«Du mage, je n’ai rien à dire».

*2-Les habar masiibeed

Ils ont tous des défauts et sont au nombre de 9:
· iinle: un handicapé mental
· iniqle: un rancunier
· irigle: un tribaliste
· beenale: le menteur
· intii yaqaan: l’égoïste
· danayste: qui aime les plaisirs
· tuug: le voleur
· dumaal: celui dont la mère s’est remarié
· doobir xume: le malchanceux

Ces deux catégories d’hommess’opposent sur les terrains de l’altruisme et de l’égoïsme. Pendant queles premiers se sacrifient pour le bien de la société, les seconds nepensent qu’à contenter leur personne.
Les qualités du responsableétaient donc évidentes pour nos ancêtres, les pasteurs qui ont instauré5 paramètres permettant d’évaluer les hommes:

1. Fal: la valeur de leurs actions et de leur comportement
2. Erey: le degré de sincérité et de vérité dans leur parole
3. war: le degré de fiabilité de l’information et de nouvelles qu’ils rapportent
4. ballan: leur respect du rendez-vous ou des promesses
5. dadnimo: leur degré d’humanité




La rhétorique du Xeer

La rhétorique est l’art de laparole. Dans toutes les sociétés, elle joue un rôle essentiel. Dans ledomaine juridique, au niveau des procès la rhétorique est mise enoeuvre pour convaincre et pour y remporter une victoire. Le Xeerlui-même n’est que de la littérature. Tout est codifié en maahmaah(proverbe), odhaah(chanson) ou en anecdote métaphorique.

L’importance du verbe

Les issas sont conscients dupouvoir de la parole. Ainsi “salf carabkiisa loogu sal gooya”,c’est-à-dire que «le manipulateur du verbe ne réçoit autant que salangue lui confère».
Si vous ne savez parler, prenez un avocat (un aabo, un pré tuteur) qui vous défendra.
Pour monter que dans ce domaineil y a pas de pitié et que à chacun sa compétence, on dit «dhiilkiisaninkii buuxsada ma dhimo, ninkii dhimaana ma buuxsho» ce qui ce traduitpar ces mots «celui qui réussit à s’appliquer sera compris mais celuiqui ne le fais pas ne sera pas».
Ceci montre que la parole est lepouvoir. Mais la parole est aussi un remède, sans elle aucune affairene serait se dénouer. C’est pourquoi les sages affirment:«calloolbukootay carab baa lagu daweeya», en d’autre terme la parole est laseule remède contre un ressentiment.


Les proverbes

Plusieurs proverbes témoignent de la construction littéraire des principes du Xeer. En voici quelques unes:

1. Xeer waa kab lagu socdo (le xeer est comme une chaussure qui vous va bien et vous protège).
2. Xeer waa hilin la raaco (le xeer est voie qu’on emprunte).
3. Gari waa cawl (le verdict est comme une gazelle qu’il faut débusquer).
4. Eex ilaahoow ha igaga tagin,ekaashona ilaahoow ha igu cadaabin (Seigneur ne pardonnez pas mapartialité mais ne me condamne pas pour une erreur involontaire).
5. Labo waa lagu kala baxaa: cilmi iyo xeer (seul le savoir et le droit départage les gens)… etc.

Ils existent des centaines deproverbes qu’on ne peut citer dans les limites de cet article. Cesparoles proverbiales sont citées en appui lors de procès ou des débatsportant sur des sujets divers.

Les fables comme arguments

Ils existent également un grandnombre de récits (masaalooyin) anecdotiques permettant d’illustrer lespropos. Ces sortes de fables ont la vertu de convaincre lesinterlocuteurs en frappant les esprits( car ils s’adressent àl’intelligence) et en remettant les adversaires a leur place.
Les rôles de ces anecdotes sont donc de créer un effet par ces tranchements métaphoriques.

Voici 3 récits de ces genres:

1. la grenouille qui a tué l’écureuil

Une affaire litigieuse connaît depuis des années. Lors d’un ultime procès (geed), un sage prend la parole et raconte:
A une époque très ancienne unegrenouille commis un meurtre contre un membre des écureuils. Cesderniers allèrent à la rencontre des grenouilles pour demander unprocès. Ces dernières répondirent: «C ‘est l’hiver et en temps de vachemaigre, comme vous les voyez vous même, toutes les grenouilles sont enhibernation . Revenez en temps de prospérité». Et les écureuilsrebroussèrent chemin. Le temps passa et la bonne saison arriva. Lesplaignants retournèrent chez les grenouilles. Encore une fois les sagesleur tinrent ce langage: c’est vrai que avions rendez-vous. Mais voyezvous-même, vous entendez tous ces coassements. Personne n’a d’oreilleattentive pour écouter votre plainte». Et ainsi ils demandèrent unautre report.
Et le sage de conclure, après cerécit que ces adversaires veulent traîner l’affaire comme cesgrenouilles et que son clan ne se laissera plus berner. C’est ainsi quele Guddi lui donna raison et oblige l’autre partie à ouvrir l’affaire.

2. le tigre qui s’en est pris aux chèvres

Deux clans sont convoqués àl’arbre pour expliquer le litige qui les oppose. L’un des sages serendant comme de l’injustice volontaire commise par le clan adverseraconte cette histoire.
Une tigresse laissa ses petitsdans une tanière et partit à la recherche des gibiers. Pendant sonabsence un troupeau de chameaux passa devant la tanière et les petitsqui étaient sortis croyant au retour de leur mère se firent piétiner.La tigresse constata le cornage et rugit de colère. A qui s’en prendre?Certainement pas aux chameaux qui la dissuadent par leur puissance. «Cesont les chèvres qui ont tué mes enfants» prétendit-elle et elle fit uncornage.
Et le sage de conclure: «vousêtes comme cette tigresse, qui évite le vrai coupable et s’attaque auplus faible, mais le Xeer rétablira la vérité».




Le Xeer et la Cité


Le Xeer est aujourd’hui enconcurrence avec le droit dite «moderne», hérité de la colonisation. Leproblème de la cohabitation des deux juridictions se pose. En effet,l’Etat moderne, hérité de nos sociétés antérieures, est fondé surl’unité du droit et sur le respect des différences. Chaque communautédoit se subordonner aux mêmes règles du droit positif pour éviter deléser quiconque n’appartenant pas au même groupe et ne partageant pasles mêmes valeurs. Nous avons vu précédemment comment jouir d’uneréputation ou d’une intégrité morale. Est-ce que le Xeer est encoreutile?

Le xeer ne peut souffrir de la corruption

Pour illustrer nos propos nouspartirons d’une histoire vraie qui au début de ce siècle dans lalocalité de Aicha’A en Ethiopie.



Les faits

Un grand commerçant XaajiCawaaale y faisait des affaires fructueuses. Les nomades des environsvenaient s’approvisionner chez lui. Un de ces nomades du nom de BudinGeedi vient un jour chez Xaaji Cawaale pour retirer une somme qu’ilavait déposé. Celui-ci de bonne foi contesta les prétentions dubédouin. En fait, en raison de nombreuses sollicitations de ce genre,les choses se sont confondues dans son esprit. On convoqua un Guddipour régler le litige. Et celui-ci tranche en faveur de Xaaji Cawaale.Budin constata le vice et s’écria que ce jugement ne le satisfait pasparce que le guddi en question était composé de 3 sortes de gens enfaveur de Cawaale:

1. In quudaysa: des personnes qui espèrent du crédit
2. In ka qaamaysan: ceux qui sont endettés auprès de lui et espèrent une remise
3. in ka qadhaabata: ses propres salariés qui dépendent donc de lui

Aucune des 3 catégories n’estdonc indépendante du Xaaji. Budin Geedi obtint donc la convocation d’unautre guddi, cette fois-ci en brousse. L’affaire se termine par leserment Xaaji cawaale remboursa le montant du dépôt à Budin. Quelquestemps plus tard, il retrouva d’ailleurs ladite somme dans ses casiers,enfouie dans ses affaires.

La morale de l’histoire

Qu’est-ce que nous enseigne cette histoire?

Le Xeer s’applique à une sociétéégalitaire. La corruption ou le soupçon de corruption nuisent au Xeer.L’efficacité du Xeer repose sur l’honnêteté et l’intégrité morale deshommes du Guddi qui ne tirent ou ne tireront aucun avantage matériel duprocès.
Pour illustrer le danger que la corruption représente un certain nombre de proverbes ont été crées:

-«dhiil tuug dhawaaq ma tabiyo» un homme qui n’est mû que par la corruption ne peut pas être un bon avocat.
-«nin baahan nin buka jal looguma dhiibo» un homme dans la nécessité ne peut même se faire confier le remède d’un malade.
-«hunguri iyo hadal ma wada kulmaan» un plaidoyer juste ne peut avoir lieu sans un desintéresement total.

Ainsi les conditions d’un procès juste et d’une application correcte sont constamment remises en cause dans la cité.
Aujourd’hui pour obtenir unGuddi, les plaignants doivent effectuer beaucoup de dépenses surtout enKhat car sans cette plante aucune réunion ne peut avoir lieu.
D’autre part, le contexteéconomique a changé et le pouvoir symbolique des sages du verbeappartient aujourd’hui aux hommes fortunés. Le palabre qui réglait touten brousse est supplanté par l’argent et la position sociale dans lasociété moderne. Tout cela porte un coup à l’efficacité du Xeer mais nese qualifie pas pour autant.



Le xeer, outil de la régulation

Dans l’état moderne, le xeerjoue un rôle non négligeable à coté du droit moderne: le derniers’applique aux citoyens comme aux étrangers avec les mêmes normes. Ilrepose sur la règle de la territorialité (tout ce qui se passe dans nosfrontières relève de notre juridiction) et fait abstraction de ladiversité culturelle et des valeurs afin d’éviter la tribalisation etla segmentation de la société.
L’autorité de l’état s’exerce àtravers la justice qui maintient l’ordre tranche les litiges et faitexécuter les sentences. Alors quelle est la place du Xeer dans cenouveau contexte?


Le Xeer au droit moderne

Les juridictions modernes et le Xeer peuvent entrer en conflits comme ils peuvent collaborer au profit des justiciables.
Commençons par une autre histoire véridique qui a eu lieu en Somalie, dans la région de Zeylac.
Durant leurs études en URSS, unjeune issa commis un meurtre sur son camarade de chambre de clanMareexaan. C’était la première fois qu’une affaire semblable avait lieuentre ces deux clans, vu la distance qui les sépare. Le régime somaliende Siad Barré, comme on le sait, avait instauré la peine de mort en casde meurtre.
C’est là qu’intervint le sageAden Bilé auprès des vieux du clan Mareexaan pour se mettre d’accordsur le prix du sang. Il arriva même à convaincre le président SiadBarré. Ainsi il réussit à sauver la vie du jeune homme qui continua àservir sa nation.
Ce même Aden Bilé et les autressages de sa troupe rendaient la justice sans se soucier de la présenceà Zeylac même et dans les autres localités de la région, des magistratsfonctionnaires rémunérés par l’état central et d’agents de Police derépression. Ces derniers se sont rendus compte de la sérieuseconcurrence du Guddi, auquel les gens étaient habitués. Alors faut-ilemprisonner et déclarer ces vieux barbus hors-la-loi? Finalement, latolérance fut de mise.


Le système dualiste

A Djibouti, il y a d’une part lapratique et de l’autre l’aspect légal des choses. Dés l’arrivée desfrançais à Djibouti, le législateur a reconnu le droit indigène oulocal appelé communément «droit coutumier» avec une connotationpéjorative.
Sont promulguées successivementle décret du 4 février 1904 qui reconnaît «les tribunaux indigènes»,puis le décret du 2 avril 1927 qui organise en détail le fonctionnementet la formalisation de ces tribunaux, et enfin le décret du 4 juin 1938qui apporta les compléments utiles aux textes précédentes.
Sans entrer dans les détailscontenus dans ces décrets, l’ donc se rendre compte de sentence de cetarsenal juridique. Dans la pratique, le droit ou le Xeer est unformidable outil de régulation. Il intervient de façon informelle, danstoutes les affaires litigieuses, même au niveau politique.
Le président Hassan GouledAptidon parlait d’une matière qui présidait aux équilibres dans lespostes politiques et administratifs. Et il est certain que lestribunaux seraient absolument débordés si toutes les affairesaboutissaient en plainte.













le role de l’Ugaas

L’Ugaas, chef suprême del’ensemble des Issas est une autorité symbolique de l’unité garante dela paix et de l’égalité de tous les membres devant le Xeer. Il n’a pasde pouvoir matériel, comme les chefs d’état mais seulement une autoritémorale qu’il tire du respect et plein consentement de son peuple. Cepersonnage acquiert ce respect par ses qualités morales. Tout un code(kabta dhaqanka) est consacré à la nomination, l’intronisation et lesdifférentes attributions de l’Ugaas.
L’Ugaas, homme providentiel

Sans être un sorcier ni unmagicien l’Ugaas doit posséder certaines qualités spirituelles qui luipermettent d’asseoir son autorité. C’est en ce sens que les Issas fontune prière spéciale avant de «capturer» celui qui sera l’Ugaas:

Illaahaywaad na dishaaye nama diidide
Ducadayada noo aqbal oo noo ajiib
Illaahayoow xoola badane kuma waydiisan
Illaahayow mid baane badane kuma waydiisan
Illaahayoow mid gaashaandhiiga yaqaan kuma waydiisan
Ilaahayoow mid wiilal badan kuma waydiisan
Waxaan Eeboow ku waydiisanay mid eex iyo inkaarba ka fayow
Mid hibo leh oo habeen dhalada
Mid aad adigu boqratay noo biniixi (iftiimi)
Garani mayne Allow noo garo
Doorani mayne Allow noo door

On demande donc un roi impartialet ne souffrant d’aucune malédiction, un homme sain d’esprit et decorps, choisi par Allah lui-même. La richesse matérielle, la puissancephysique (guerrier) et un quotient intellectuel supérieur aux autres nesont pas nécessaires. On s’en remet donc à dieu pour qu’il oriente lechoix.
Le roi fait partie de lacatégorie des habar doobiireed. En ce sens il est celui qui fait desprières pour son peuple pour demander la prospérité à Allah. Enprincipe, s’il est bien un homme moralement correct et en quelque sorteélu de dieu, ses prières seront exaucées.
Autrement, ou c’est un roi diminué ou il est destitué ce qui est arrivé dans l’histoire des Issas.

L’ugaas, garant de l’égalité

Le Xeer repose sur un principede base simple et solide, qui témoigne de la véritable démocratiepastorale:«Ciise waa wada ciise ninna nin caara ma dheera», en d’autrestermes tous les issas sont égaux, aucun ne possède plus de droits queles autres.
Ce principe s’applique même auroi. Il n’a aucun privilège du type monarchique. Il n’hérite pas dupouvoir, ni ne le transmet à son fils. Il est plutôt élu et choisi parson peuple.
Il est arrivé que l’Ugaaslui-même soit devant un tribunal, face à un plaignant. Le roi est commetout le monde écouté par le Guddi. Et dans cette affaire, il s’agit defeu Ugaas Hassan Hersi et d’un certain Djama Gurane. C’est le roi qui aperdu le procès. Il a donc payé le maydh (la réparation du tort causé àson adversaire).
Ainsi il est interdit moralementà l’Ugaas de commettre de l’injustice, de soutenir quelqu’un qui a tortmême si c’est un proche (fils, frère…;). Si jamais il commet un «gareexa» (impartialité;) il n’est plus digne de respect, il est contesté,et c’est la porte ouverte à la destitution:«boqor baydhay ma badbaado».Les nomades sont très attachés à ces notions d’égalité, d’impartialitéet d’honnêteté. Malgré tout, les issas ne dévalorisent pas leur roi pardes constitutions stériles. On le respecte tant qu’il reste digne.

L’Ugaas, symbole de l’unité

L’Ugaas appartient à tous lesissas. Dès l’instant de sa «capture», il quitte sa famille et son clan.Ils dévient le père (aabaha) de tous les issas.
Il est désormais le pilier central (udub dhexaad) du Xeer.
Ainsi, sans posséder le droit detrancher le procès, dans une sorte de cour royale, il présidé et bénitles décisions, selon le dicton:«Ugaas waa guddonshaayema gooyo».
Lorsqu’une affaire de sangréunit les cent et le roi (boqorka iyo boqolka), l’Ugaas est comme lepère qui rassemble ses enfants. Son rôle est de sauver l’unité de sacommunauté. C’est lui qui tranche lorsqu’il y a égalité des voix. Parsa présence symbolique (il fait
D’un préjugé favorable d’impartialité;) il calme les ardeurs. Sa bénédiction est recherchée… ainsi le consensus est trouvé.

Son rôle en faveur de la stabilité et la paix

Que ça soit à l’intérieur ou àl’extérieur de sa communauté, l’Ugaas est un pacificateur. Il apaisepar son aura et le respect qu’on lui dit, les passions sources demassacres à répétition. Avec les autres communautés, il consolide lestraités de paix. Son rôle de représentant et de chef symbolique,foncièrement attaché à la paix, (car il n’est jamais chef de guerre,quelques soient les circonstances) l’autorise à réussir des médiationset de mener des négociations afin de réconcilier des clans ou destribus en guerre. Les exemples historiques abondent: habar jeclo ethabar yonis (clan issack) en 1954, les geri et jaarso en 1982.
Le rôle de l’Ugaas dans lapréservation de sa communauté face à l’agression extérieure a étéégalement déterminant au cours de l’histoire et particulièrement àl’époque coloniale. La construction du chemin de fer a été l’occasionde plusieurs batailles. Devant la violation de leur territoire, lesissas ont réagi (la violence par la violence). Les autoritésabyssiniennes ont essayé d’amadouer ou d’intimider les Ugaas del’époque (les français ont même été jusqu’à autoproclamer un Ugaas àleur solde mais non reconnu évidemment par les Issas). Un Ugaas a étéainsi emprisonné à Harar et a trouvé la mort dans les geôles.

Il s’agit de l’Ugaas Waïs Omar. Il s’est sacrifié pour éviter de livrer son peuple.

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